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Blog d'Olivier Issaly

Trop tard ou pas ?

J’ai fini de lire le livre The Innovator’s Dilemma de Clayton Christansen dont je parlais il y a quelques temps. J’y abordais le secteur de la téléphonie via Internet. Mon avis s’est trouvé conforté à la lecture de ce bouquin. Et ce n’est pas les dernières nouvelles de Free et Neuf Cegetel annoncant des communications gratuites vers la plupart des pays d’Europe, d’Amérique du Nord ou meme d’Asie qui vont me faire changer d’avis.

Mais ce n’est pas cet exemple auquel j’ai immédiatement pensé après avoir fini le livre. C’est la situation de MySQL sur le marché des bases de données qui m’est venue à l’esprit. C’est frappant à quel point l’émergence de MySQL rentre exactement dans le schéma que décrit Christansen à propos des innovations dites disruptives.

Pourtant, on ne peut pas dire que MySQL soit une révolution technique en soit dans le domaine des bases de données. En fait, dans les exemples que donne Christansen, on trouve bien sûr des vrais révolutions techniques (dans le domaines aussi variés que les différentes tailles de disques dur, les pelleteuses à cable vs hydrauliques ou le commerce de détail vs la grande distribution), mais on trouve aussi un certain nombre d’innovations qui sont en fait des simplifications de l’offre du marché. C’est dans cette catégorie que je range MySQL. Alors, ça marche comment ?

Typiquement, ça commence avec un produit simplifié et moins cher. Exactement ce qu’était MySQL 3. Imaginez, une base de données sans vues, sans clefs étrangères, sans procédures stockées, qui aurait voulu faire tourner une entreprise avec ça ? Probablement aucun ou peu d’utilisateurs d’Oracle ou de SQL Server n’était intéressé quand MySQL est apparu sur le marché. Mais MySQL avait déjà d’autres qualités : le prix (en l’occurence, la gratuité), la simplicité et le peu de ressources nécessaires pour faire tourner le serveur. Exactement ce dont avait besoin le marché des petits et moyens sites Web lorsque les sites « dynamiques » ont émergé et sont devenus légions.

C’est là un des points importants du livre. Beaucoup d’innovations disruptives commencent dans des petits marchés à part du marché principal, les deux ayant deux visions différentes des qualités nécessaires pour un SGBD afin d’etre utilisable. Ici, le marché des sites Web et celui des gros comptes clients d’Oracle ou de SQL Server ont clairement des besoins différents, et ce que eux jugent comme des défauts est exactement ce pourquoi le marché des sites Web apprécie MySQL. Chaque marché à ses propres valeurs et dans le schéma que décrit The Innovators Dilemma, le marché principal et le marché restreint dans lequel évolue au début l’innovation disruptive ont souvent des valeurs diametralement opposées : ce que l’un juge comme un défaut est jugé comme une qualité par l’autre.

Ces différences de valeurs sont très importantes, et dangereuses pour les leaders du marché. Car c’est justement en appliquant les meilleurs techniques de management, à savoir surtout en écoutant de très près et en suivant ce que leurs disent leurs clients qu’ils ratent ce genre d’innovations, puisque ces clients en général jugent comme des défauts ce qui fait la force de ces innovations. La stratégie de défense du leader est donc souvent de continuer à écouter leurs clients et de compléter leurs produits en fonctionnalité.

Comment la situation évolue alors pour passer d’un marché restreint dans lequel évolue MySQL à un statut de leader ? L’explication que livre Christansen se base sur l’étude des courbes de fonctionnalités de l’innovateur (A), de la demande du globale du marché (B) et des leaders (C). Deux conditions sont alors nécessaires pour qu’un petit innovateur vienne renverser les leaders :
– la courbe A progresse plus vite que la courbe B,
– la courbe C évolue au dessus de la courbe B.

C’est éxactement ce qui se passe ici :
– MySQL a considérablement rattrapé son retard avec les versions 4 et 5, rejoignant ce qu’attend le marché comme standard pour un SGBD (vues, procédures stockées, clefs étrangères entre autre)
– Oracle est probablement dans une situation où leur produit surpasse de loin ce qui est demandé par le marché de manière globale, ne satisfaisant efficacement qu’une petite partie du marché, les très grands comptes. Ce faisant, ils glissent vers le haut du marché, laissant un vide où MySQL peut s’engouffrer et sortir de son marché niche.

Pourquoi Oracle ne s’est-il pas lançé sur le marché qu’occupait MySQL dès le départ ? Probablement, comme l’explique le livre, qu’il s’agissait d’un marché trop petit pour répondre à ses besoins de croissance, en plus du fait qu’il répondait à un système de valeurs complètement différent. Une bonne partie du livre s’attache à expliquer comment gérer au sein de l’organisation ces différences de valeurs.

Le jeu se termine quand la courbe A croise la courbe B. Celui qu’on considérait comme un petit est alors en mesure d’innonder le marché principal et de combattre les leaders. Ces derniers se retrouvent alors au pied du mur : soit ils continuent à se déplacer dans le haut du marché (et bien souvent c’est la porte de sortie), soit ils arrivent à descendre dans le marché, exercice très difficile même si l’entreprise en a les ressources, car cela implique un changement profond dans les valeurs de l’organisation.

Mon interrogation est donc de savoir si MySQL 5 n’est pas le produit qui vient croiser la demande du marché, car en terme de fonctionnalité, il semblerait bien que ce soit le cas. L’autre indice qui me fait penser cela, est la sortie par les grands éditeurs de version light de leur produit afin de contrer MySQL, comme le signale Nexen. Cela sonne comme un aveu que MySQL répond à la demande de leur marché à eux et qu’il est temps de réagir. L’avenir nous dira si leurs réactions est trop tardive ou pas…

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1 Comment

  1. Alban THEWYS

    Ultra synthétique. J’adore. On pourrait aussi voir l’innovation comme un jeu de Tetris : les briques sont la clientèle, la grosse firme le niveau de la plus haute brique et si un « petit » vient combler les bons espaces il rafle toutes les lignes et le grand s’effondre d’autant!

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